deuxième pas
Me voilà couché, exténué par cette tâche incessante qui consiste à
faire la guerre à ma personnalité. Malgré mes victoires je reste le
grand perdant. Je la foule à mes pieds, fière de ma force, piège de mon
être. Car ma fierté n'est que le manteau sous lequel cette personnalité
se cache en me laissant un goût de gloire dans ma défaite. Je tourne en
rond, je titube avant de tomber devant mon incapacité à dépasser mes
futilités.
Que me reste t-il
sinon me cacher derrière mes livres dans une nonchalance pédante qui
nargue mon entourage en leur montrant une culture livresque aussi mince
que les pages que je tourne d'un air entendu.
Le bout du tunnel ne
me semblait pourtant pas trop lointain. J'en voyais le halo à travers
ce tube noirâtre. Pourtant à mesure que j'avance, je découvre une
distance toute autre. Je suis persuadé d'avancer car le temps qui passe
m'empêche malgré moi de reculer. Mais l'impression réelle est toute
différente. Ce halo ne grandit pas à mesure que j'augmente le nombre de
mes pas, j'ai même la désagréable impression qu'il s'enfuit
discrètement. Peut-être que cette blancheur n'est qu'une illusion
déposée par ma personnalité troublante pour jouer avec mes envies et
mes rêves.
Dois-je
continuer à jouer le rôle entendu que je déploie dans mes journées ?
Est-ce cet être là que je suis vraiment ? Le sens de cette vie n'est
qu'une pièce de théâtre où je joue un rôle appris au fil du temps et
des rencontres. Le regard des autres est mon costume et ma culture est
mon texte. J'en suis conscient mais qu'il est difficile de fermer le
rideau. Mon rêve est d'arrêter
de déblatérer devant tous ces spectateurs. Stopper la pièce pour dire à
tous ces gens que tout cela n'est pas vraiment la réalité. Même si
personne n'est assis dans les strapontins,
même si tout le monde dans cette immense salle fait partie de la
troupe, rien n'est vraiment vrai. La réalité se cache derrière le
décor. Les coulisses sont la vrai vie. Mais à force de jouer, à force
de vivre avec touts ces acteur la pièce de ma vie, j'ai oublié le
reste. J'en suis arrivé à oublier le chemin des coulisses. Plus
troublant encore, je n'ai plus envie d'arrêter la pièce. J'y suis certes malheureux, mais les moments de bonheurs me freinent, m'enracinent
dans ce monde imaginaire qui est devenu ma réalité. Je joue malgré moi
en jetant de temps en temps un regard furtif vers ces ombres sur les
côtés. Cette liberté qui m'est offerte mais que je rechigne à prendre.
Si je quitte la pièce, pourrais-je revenir ?
Derrière cette noirceur, y a t-il un monstre qui attend la gueule ouverte le moment opportun pour m'engloutir . La misère, la puanteur, la violence sont peut-être juste derrière ce décor. Comment savoir si je ne vais pas regarder ? Comment faire ?
Est-je assez de courage pour sauter dans ce vide sans espoir de retour ? Peut-être devrais-je
demander à quelqu'un du plateau de me tenir par une corde et si je
hurle, qu'il me tire vers lui, de retour dans la pièce. Mais je sais
que mille cordes ne suffiraient pas à me ramener. Mon but aujourd'hui
est simple et presque inaccessible. Le chemin qui me reste à faire est
si court et si infini. La petite porte est si près de moi, mais mes
craintes, mes doutes la mettent à des milliers de kilomètres de mon
être. Je me retourne, le spectacle continu sans même un regard pour ma
détresse. Tout le monde rit, pleure, hurle, meurt, naît,
saigne, s'aime, fait l'amour, mange, se soulage, se masturbe, s'arrache
les cheveux, berce le bébé, s'enferme dans la douleur, s'ouvre à la
joie, à froid, à chaud et vit sa pièce dans une totale indifférence
des autres qui vont et viennent et vivent les mêmes choses. J'hésite,
je me balance, et je me jette. Me voilà de retour dans la pièce. Je ne
vois plus la porte, le décor est ma maison, je rie, je pleure, je vie
ma vie d'acteur pour oublier ma détresse, mon envie de liberté autre
que celle écrite dans le scripte. Mais par manque de courage, par
manque de volonté, par peur de l'inconnu, par petitesse, je reporte mon
évasion à plus tard.